Smaranda Olcèse

La redite en somme, ne s’amuse pas de sa répétition singulière

// Palais de Tokyo

Propos receuillis par Smaranda Olcèse   

J’ai remonté le temps y avait rien à faire. Les mêmes carrosses en bois à toute allure (YIA, 2014), La houle se déroulant au fracas de la coque (…), je sabrais l’écume (galerie Maubert, 22014) ou encore La redite en somme, ne s’amuse pas de sa répétition singulière (Palais de Tokyo, 2016) – les titres de vos oeuvres sont toujours porteurs d’une charge poétique et procèdent d’associations d’idées surprenantes.

Sara Favriau : Le titre d’une pièce est pour moi un second travail et j’aime bien lier les deux. Prenons par exemple l’installation au Palais de Tokyo : cette multiplication des équations – la redite, la somme, la répétition – à la fois addition et soustraction, est porteuse d’indices sur les oeuvres, tout en créant des ponts vers d’autres possibles. Ce sont des manières d’élargir le champ, de ne pas nécessairement désigner ou circonscrire le travail.

L’installation que vous présentez en tant que lauréate du Prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo, tout en étant très différente de ‘» j’ai remonté le temps y avait rien à faire». « les mêmes carrosses en bois à toute allure», très remarquéée au salon YIA en 2014, entretient avec cette pièce un lien manifeste. La sensation de monumentalité était déjà très présente dans la constellation complexe de petites cabanes en suspension de J’ai remonté le temps ( …) Qu’est ce qu’il s’est joué dans le changement d’échelle?

Sara Favriau : Il s’agit de deux travaux distincts. Il y a une sorte de glissement qui opère de l’un à l’autre.Je joue toujours sur les échelles et les sensations de l’espace. Dans la pièce de 2014, le minuscule génère son espace, il s’étend de par sa miniaturisation même, alors qu’à une échelle monumentale, l’oeuvre intègre un espace.

J’ai toujours eu plusieurs façons de travailler : le dessin, l’installation, la sculpture. J’aime bien l’éclectisme. La problématique s’est déplacée de la pièce de 2014 à celle-ci. J’essaie de répondre à la fois à une question d’espace – chercher la justesse par rapport à la monumentalité – et à une question de sculpture.

Dans la transformation du petit vers le grand, j’ai trouvé la confrontation physique particulièrement intéressante. Je ne voulais surtout pas que chaque module devienne une cabane dans laquelle on pourrait entrer. Je travaille un peu en dessous de l’échelle humaine.

Ce changement du minuscule au monumental m’a également permis d’aller un peu plus loin dans le travail de dessin du vide : je sculpte du vide, je l’enferme sans l’enfermer.

J’avais également le désir d’inviter d’autres artistes à investir ces espaces, dans une volonté de partager La redite en somme (…) et offrir des écrins à même d’accueillir d’autres oeuvres. Je pouvais donc travailler beaucoup de couches de lecture, de problématiques, ça pouvait synthétiser beaucoup de choses et tout cela m’intéressait dans le geste de projeter en plus grand.

Sculpture et installation, plein et vide, socle et pilotis, votre proposition dessine des amplitudes et perspectives en tension.

Sara Favriau : Mon travail permet plusieurs niveaux de lecture. Au premier abord, il a quelque chose de figuratif, qui permet une certaine facilité d’accès à l’oeuvre. Il me semble important de pouvoir communiquer avec l’autre. Je manipule des outils qui vont me permettre de poser des questions plus compliquées, car souvent la simplicité cache quelque chose d’extrêmement complexe. Je travaille depuis des années une forme de synthèse qui permet d’ouvrir. La cabane est un prétexte pour travailler la sculpture, reposer certaines de ces questions fondamentales : l’ornement, le socle, la masse, la gestion des points de vue, des perspectives, le dedans et le dehors. Le bois est taillé à l’extérieur pour qu’à l’intérieur les autres oeuvres soient accueillies de manière plus neutre. Cette tension entre le dedans et le dehors travaille autant l’idée d’un «dessin inversé» ou d’un «dessin miroir».

Effectivement chaque cabane propose des angles et des points de vue très étudiés. Vous travaillez une sorte de dentelle qui canalise le regard.

Sara Favriau : Le leitmotiv de cette pièce est la contrainte et la frustration. J’étais obligée de travailler par triangulation, de toujours croiser les tasseaux pour pouvoir fortifier la structure. Partant de cette question de résistance, comment aller au delà ? Ce travail par couches est très dessiné, j’ai accordé une véritable attention à la ligne pour dépasser la contrainte technique. La passerelle contraint les points de vue, spatialise l’ensemble, relie les cabanes entre elles, crée un huis clos. Il s’agit d’une fausse ouverture, quelque chose d’assez factice. Quant aux oeuvres dans les cabanes, elles se laissent découvrir à une dernière lecture.

Vos pièces, et particulièrement La redite en somme, ne s’amuse pas de sa répétition singulière, emploient des matières souvent pauvres, délaissées, issues d’une histoire industrielle, que vous travaillez de façon artisanale.

Sara Favriau : J’ai une passion pour l’histoire. En utilisant des matières plus ou moins synthétiques, usinées, en essayant de leur donner leurs lettres de noblesse, je cherche à trouver une articulation entre le présent, le passé et ce qu’il y a à venir. L’invention se trouve aussi dans les acquis, il s’agit d’apprendre de ce que l’on a à sa disposition. Le matériau induit sa temporalité et j’avoue qu’il y a une sorte d’autisme dans le temps passé dans l’atelier – ces moments de manipulation artisanale me permettent aussi de penser la prochaine création. Je ménage toujours une grande part à l’accident. C’est souvent de ces imprévus que j’apprends.

Cette oeuvre laisse une part très importante à l’imaginaire, qui est comme invité à peupler cet espace qui s’ouvre devant lui.

Sara Favriau : J’ai beaucoup de mal avec les codes et les symboles qui cristallisent trop vite et arrêtent toute pensée. L’ambiguïté existe pour moi chez toute personne et chez tout être et je prends soin de la développer également dans mon travail. Elle peut générer des ouvertures incroyables, créer des ponts. C’est le principe de l’entre-deux qui laisse libre cours à la pensée du regardeur.

Parlez nous de cette aventure collective autour de La redite en somme, ne s’amuse pas de sa répétition singulière. Comment s’est concrétisée l’idée d’inviter d’autres artistes à habiter vos espaces avec leurs oeuvres ?

Sara Favriau : Cela fait un an que je suis les quatorze artistes – quinze avec Jean-Michel Alberola qui s’est ajouté à la dernière minute ! Il y a eu pas mal de nouvelles productions.

A l’origine de cette démarche curatoriale, il y a bien sûr une question de famille d’artistes et un profond respect pour chacun d’entre eux. Au-delà de la pluralité des disciplines que j’ai essayé de rassembler, les oeuvres partagent un certain engagement, un courage, des intuitions assez fines. Ensuite, du point de vue formel, j’aime bien être là où je ne me reconnais pas ! J’ai de l’enthousiasme et de la curiosité pour plein de choses, je navigue beaucoup dans le cinéma, le théâtre.

J’ai travaillé l’idée d’une conversation, une conversation entre les cabanes, facilitée par les passerelles. Chaque cabane a son histoire. Il y a ainsi une cabane paysage, une cabane habitat, une cabane temps, une cabane épopée et la cabane d’un certain bestiaire. J’ai vraiment cherché à instaurer un dialogue, à faire en sorte que les oeuvres puissent se répondre et coexister dans un espace assez réduit. Le défi était de travailler les oeuvres sous forme d’apparitions.

Le projet curatorial se déploie en deux Sessions. Vous avez invité Cécile Welker à en assurer la deuxième (2 avril – 16 mai).

Sara Favriau : J’aime bien faire des choses différentes. J’ai une façon de voir ces sculptures, mais en conviant une autre commissaire, j’accepte de me laisser interpeller par un autre regard.

 

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